Réforme des collectivités territoriales : intervention de Colette Gissot au Conseil Municipal de Caen du lundi 15 novembre 2010

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La réforme des collectivités territoriales a été votée par le Sénat le mercredi 10 novembre…à 167 voix contre 163 et 9 abstentions, certains sénateurs UMP s’étant abstenus et quelques sénateurs centristes ayant voté contre, avec la gauche. La réforme est soumise au vote de l’assemblée Nationale demain, mardi 16 novembre.

Pourquoi parler de la réforme des collectivités territoriales au Conseil Municipal ? Qu’en ont à faire les Caennais ? Nos concitoyens doivent savoir que la Ville de Caen travaille peu seule et que de nombreux projets qu’elle soutient le sont aussi par l’Europe, l’Etat, la Région, le Département, Caen-la–mer. Beaucoup d’autres politiques sont aussi portées directement par ces collectivités pour améliorer le quotidien des habitants. Les citoyens, qui commencent seulement, pour certains, à mieux comprendre notre organisation territoriale, doivent savoir que les changements qui s’annoncent vont impacter fortement leur quotidien.

Le rôle des collectivités territoriales, depuis la première loi de décentralisation (1982) est indéniable. Démocratiques, elles agissent vite et bien pour les territoires. L’efficacité qui découle de la proximité des élus et services permet de mener les nombreuses politiques dont les habitants ont besoin dans une période où l’Etat se désengage de tout. Bien gérées, les collectivités sont des modèles d’innovations sociales et économiques. La richesse des politiques inventées dans les territoires est un apport indispensable à notre pays.

Cependant, beaucoup d’entre nous soutiennent la nécessité d’une réforme, pour mieux assurer la représentativité démocratique des communautés de communes et d’agglomération, par exemple, ou pour s’interroger sur les éventuels échelons à supprimer.

Or, il s’agit ici pour le gouvernement, de modifier radicalement l’esprit des lois de décentralisation qui ont toujours milité pour une plus grande autonomie en vue de répondre à l’enjeu européen. Il s’agit de procéder à une re-centralisation des compétences en catimini, ce qui constituera un handicap, particulièrement pour nos Régions, au niveau européen. Au-delà, il s’agit d’enterrer la dynamique lentement engagée par l’ensemble des forces politiques pour installer la parité dans tous les niveaux de l’action politique.

La mesure phare de ce texte est la suppression des élus régionaux et départementaux remplacés par un être hybride : le conseiller territorial, élu comme un conseiller général, pour siéger dans deux collectivités en même temps !

Ce projet institutionnalise le cumul des mandats. Il institutionnalise la professionnalisation des personnels politiques, qui pourront difficilement conserver une activité professionnelle. Plus que jamais, il s’agira d’exercer une profession, et non un mandat, ce qui, je le rappelle, n’est pas la même chose !

Il supprime la parité par le choix d’un scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Ce type de scrutin n’est jamais favorable aux femmes, qui se trouvent le plus souvent en position de suppléantes dans les partis traditionnels. Les choses ont évolué doucement dans les communes et les Régions, grâce au scrutin de liste. La dynamique va donc être stoppée, et nous allons retrouver les photos d’ensemble de costumes croisés.

Ce mode de scrutin rendra difficile l’élaboration de projets d’intérêt général, l’attachement cantonal et la personnification de l’élu devenant la règle pour les deux échelons (départemental et régional)… Ce qui a fait la force de la Région (et la faiblesse du Conseil général) étant typiquement le mode de scrutin. L’élu cantonal, pour être reconnu (et réélu !) doit parvenir à faire flécher sur son canton les actions départementales. D’où la floraison des maisons de retraites dans les campagnes, alors que l’agglomération de Caen, qui regroupe plus de la moitié des habitants du Département, en manque cruellement… On est assez loin ici de la notion d’intérêt général. Nous souffrons en France d’une sur-représentativité du rural. Avec cette réforme, nous allons achever notre malade. Simplement parce que ce type de scrutin est favorable à la droite et pourrait lui permettre de reprendre en main la majorité des régions de France. C’est une mauvaise nouvelle pour la démocratie. En effet, de gauche comme de droite, tous les gouvernements qui ont « tripatouillé » les modes de scrutin dans un souci électoraliste n’y ont pas forcément gagné les voix attendues. Les Français ont horreur qu’on tente de les téléguider. Par contre, tous les mouvements politiques y perdent, parce que ces élaborations électoralistes sont perçues uniformément comme la preuve que les politiques sont « tous pourris ». Personne n’en sort grandi.

La clause de compétence générale a permis, dès les premières lois de décentralisation, aux collectivités de sortir de leurs compétences « obligatoires » pour pouvoir porter ou financer d’autres projets. On a souvent dénoncé cette clause comme étant à l’origine d’un enchevêtrement des compétences qui complexifie le travail des services et donne moins à voir électoralement. C’est assez vrai, mais il faut aussi constater que ce mille-feuille est assez peu visible pour nos concitoyens au quotidien. Qu’il a eu l’avantage, dans la souplesse, d’obliger chacun à travailler en réseau et surtout, que les élus locaux de tous bords se sont d’abord attachés à répondre de façon responsable aux besoins de leurs concitoyens. Ainsi, les lois de décentralisation avaient « oublié » la culture dans la liste des compétences obligatoires distribuées… Paradoxalement, ce secteur, grâce à de fortes implications des politiques locaux, a vu fleurir depuis 25 ans des projets de qualité, que l’Etat n’était plus à même de porter… Et finalement, face à la fronde du monde culturel, le gouvernement a choisi de conserver cette organisation pour la culture ! Elle continuera à être portée par chacun des échelons ! Mais à partir de 2014, la carte livre du Conseil régional, le plan vélo du Conseil général, les actions sur l’économie sociale et solidaire, la santé, le logement etc. devront être abandonnées par ceux qui les portaient. Pour être portées par qui ? Sous quels délais ? Nos concitoyens ont-ils besoin de ce nouveau coup porté à des actions qui fonctionnaient ?

Enfin, les lois de décentralisation posent clairement le principe de libre administration des collectivités. Principe déjà fermement encadré par le contrôle préfectoral. Sans paraître toucher ce principe, ce projet l’abandonne de fait en enfermant les collectivités dans leurs compétences obligatoires et les transforme en officine des Préfectures.

La fin des financements croisés va empêcher de faire émerger un très grand nombre de projets. La Politique de la ville aurait pu en être la première victime directe. En effet, tous les projets de renouvellement urbain, sans exception, ont été financés par des financements de plusieurs collectivités, où la Ville n’a pas forcément apporté la « franchise » des 30% minimum prévus dans le texte. On a rattrapé la politique de la Ville, on a sauvé la culture, grâce à la fronde des élus inquiets…

Mais on a oublié la santé et bien d’autres… Ainsi, à Caen, concrètement, l’application de ce projet aurait rendu impossible, entre autres, la construction du pôle de santé de la Grâce de Dieu. Et trouver 30% des besoins d’investissement, ce sera tout simplement impossible pour les communes les plus pauvres, à moins qu’elles n’acceptent de renoncer à la maîtrise d’ouvrage !

Petite avancée, le fléchage des conseillers appelés à siéger dans les conseils communautaires ne garantit pas une majorité politique aux intercommunalités. Les conseils d’intercommunalité resteront élus au second degré, les citoyens demeurant dans l’incapacité d’en déterminer la majorité, et donc de choisir la politique menée par ces structures. Nous regrettons qu’une fois de plus, l’élection des conseillers communautaires au suffrage universel direct n’ait pas été retenue, malgré l’appellation qui lui est donnée. Nous fêterons cette semaine les 20 ans de l’intercommunalité à Caen. Nous savons qu’une communauté d’agglomération se construit sur un projet. Caen-la-Mer a désormais la chance d’avoir un conseil de développement et un véritable projet politique. Nous savons aussi le temps passé depuis 20 ans en négociations et atermoiements. La définition d’une majorité politique par les citoyens aurait probablement permis de renforcer l’intercommunalité en confiant aux citoyens la possibilité de choisir leur vision de leur territoire. Nous regrettons aussi que les leviers réels d’une redistribution solidaire à l’échelle des agglomérations n’ait pas été pensés. Ainsi, l’instauration de la taxe d’habitation à l’échelle intercommunale aurait permis de limiter les logiques d’individualisme communal.

Par son histoire, notre pays est caractérisé par une superposition d’échelons. Ces « couches » administratives multiples ont un coût important pour les ménages : personnel , locaux, temps administratifs multipliés… Cette loi, nous dit-on, est motivée par la nécessité de supprimer des échelons pour que les élus et les citoyens s’y retrouvent et par souci d’économie… Ouf, c’est très bien. Alors, on supprime quoi ? et bien : rien ! Ah si : des élus ! (Et surtout des élues femmes !)

La réforme ajoute aux échelons existants la création des métropoles et des pôles métropolitains… Deux échelons supplémentaires sans aucune suppression ! Les écologistes posent depuis longtemps la question de la suppression de l’échelon départemental. Les Français sont naturellement attachés à leur département hérité de Napoléon, sans cependant percevoir très nettement ce qui est du domaine du Conseil Général ou de l’Etat, ce qui est de l’histoire, du culturel, voire du folklorique dans leur lien à ce territoire. La suppression d’un échelon administratif n’implique pas nécessairement sa fin en tant que concept culturel et rassembleur…

L’avantage de cette assemblée gouvernementale est qu’elle est sans surprise. Le Président Sarkozy a voulu cette réforme. Elle sera donc votée. Une fois de plus, la démocratie aura du mal à y retrouver ses petits. Une fois de plus, une réforme essentielle passe à côté des enjeux. Une fois de plus, le débat citoyen est confisqué. Une fois de plus, les femmes seront sorties sans ménagement du jeu politique. Une fois de plus, sans illusion, les élus communaux s’adapteront, en essayant de limiter la casse pour leurs habitants. Une fois de plus, ce seront les territoires les moins aisés qui auront le plus à en pâtir.

La Préfectoralisation. Le gouvernement n’aime pas les collectivités territoriales. Il le montre une fois de plus en donnant au Préfet, personne publique directement nommée par le Conseil des Ministres, un rôle clef dans les politiques locales, notamment régionales. Ajoutés à l’asphyxie des collectivités par la privation gouvernementale des ressources, il s’opère une véritable recentralisation du pays, annulant plus de 25 ans de progrès depuis les lois Deferre. Au-delà du recul démocratique, c’est la fin des politiques locales dont tout le monde se félicitait de leur pertinence et de leur efficacité

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