Courrier de Rudy L’orphelin au Collectif des associations agissant dans le cadre du CUCS de l’Agglomération Caen la Mer.

Madame, Monsieur,

Je vous remercie tout d’abord de votre interpellation, qui signe l’intérêt que vous portez aux habitants des quartiers prioritaires.

Vous avez rencontré le 24 mais Colette Gissot, membre d’Europe Ecologie – Les Verts, en charge de ce dossier en tant que maire adjointe à la Ville de Caen, ainsi que Caroline Amiel, candidate sur la circonscription Caen 2 et son remplaçant, Jacques Hébert.

Lors de cet entretien, les questions que vous aviez posées dans le courrier que vous nous avez fait parvenir ont été abordées et mes collègues se sont félicitées du climat de confiance et d’ouverture de ces échanges.

Permettez-moi de répondre à mon tour, et par écrit à ces questions. En effet, je n’ai pas pu être présent à cette rencontre, mais il me semble indispensable de partager avec vous le corpus de réflexion qui est celui d’EELV sur la politique des quartiers, et peut-être plutôt, la politique des territoires.

Vous le savez bien entendu, cette politique d’exception, initiée il y a une trentaine d’année, fait l’objet d’une évaluation mitigée. Ces critiques sont largement injustifiées pour certaines. En effet, on peut constater partout ses effets positifs car, sans l’action et le maillage des associations dans ces territoires, la paix sociale ne saurait être maintenue, ce qu’on a pu largement vérifier lors des « émeutes » de 2005.

Cependant, force est de constater qu’elle a aussi généré des effets pervers, dont la responsabilité incombe peu aux associations, mais plutôt à la technicité, voire à la technocratie des dispositifs.

En reprenant certaines de ces critiques, on peut dresser assez aisément les pistes de travail qui permettent aux quartiers populaires de sortir de la relégation. Permettez-moi d’en exposer certaines :

–       La politique des quartiers a davantage mis l’accent sur la réparation, sans remettre en question les politiques institutionnelles : l’école, les services sociaux, les services de l’emploi, la prison, … continuent donc à générer des exclusions, qui sont sensées être réparées par des actions toujours renouvelées. Ainsi, si les salariées du PRE caennais font beaucoup d’accompagnement des familles vers les soins, on peut peut-être en déduire soit que les transports en commun sont mal connus, ou insuffisants, soit que l’offre de soins manque sur le quartier…Une analyse fine des situations rencontrées par les associations permettrait de poser une évaluation des politiques de droit commun menées sur un territoire et de mieux en connaître les besoins réels.

–       La politique de la ville a parfois servi de cache-misère ou de bonne conscience à des politiques locales globales prenant insuffisamment en compte les besoins des populations les plus fragiles. Les politiques dites « de droit commun » de l’Etat, comme des collectivités territoriales, doivent être prioritairement orientées vers ces publics, et non en laisser la charge à des dispositifs d’exception.

–       Ce sont les associations qui, dans le cadre du CUCS, portent l’innovation, dans une grande précarité des emplois et des financements. Cela est injuste et limite la portée de leurs actions. La durabilité des projets assurera leur lisibilité, et ainsi leur démocratisation, permettant de sortir aussi d’un certain « entre-soi ».

–       La gestion par appel à projet peut permettre de réorienter progressivement une politique et peut s’entendre dans ce cadre. Année après année, ce fonctionnement amène un dévoiement de l’action des associations, qui peuvent finir par « perdre leur âme » et aussi leur temps et leur énergie par la recherche de financement et les tentatives d’adaptation à l’offre de financement plutôt qu’aux besoins de la population. L’inscription dans la durée est essentielle pour mesurer les effets d’une action. Ce qui n’interdit pas de voir la fin de certains projets, qui ne correspondent plus à l’attente des habitants.

–       La politique de zonage a créé des effets d’aubaine, desservant autant les quartiers que les centre-ville. Ainsi, les exonérations de charge liées au ZFU ont contribué à désertifier l’offre médicale des centre-ville, tout en ne prenant pas en charge les populations des quartiers. L’exemple du pôle de spécialistes de la Guérinière en est un exemple frappant. Cette même politique de zonage a favorisé le repli sur soi des quartiers. Enfin, l’empilement des dispositifs (CUCS, PRU, PRE, ZFU, ZUS, RAR,…) segmente les réponses à apporter, et ne permet pas de travailler à un projet global de territoire. Il s’agit d’adopter désormais un contrat global de territoire, prenant en compte à la fois les quartiers installés dans la difficulté, mais aussi ceux en cours de fragilisation, et surtout de travailler sur les coutures, les mobilités, les flux, les brassages. Ce contrat global permettra d’assurer cohérence et efficacité à la vie sociale d’une ville dans toutes ses dimensions.

–       L’évaluation des Programmes de renouvellement urbains est actuellement au point mort. Les liens urbain, semi-urbain et rural et l’observation d’éventuelles fragilisation de certains territoires liées à des mobilités non anticipées sont absolument essentielles. Ils permettront aussi de relier entre eux des endroits interdépendants et de créer de nouvelles synergies.

Enfin, il nous semble que l’Etat doit demeurer le garant de l’égalité des territoires. En ce sens, il nous semble que l’apport des délégués des Préfets au plus près des territoires est à conserver, voire à développer sur d’autres territoires, en ce qu’elle permet de mobiliser les services de droit commun de l’Etat, et d’observer au plus près les apports ou les manques.

Un point important est celui de la sécurité, et l’Etat devra veiller à assurer une présence policière de proximité, pour éviter que les populations fragilisées et précarisées ne se tournent vers des protections et des ressources illégales, voire mafieuses.

Il faut aussi assurer l’avenir des jeunes et des moins jeunes par l’accès à une vie digne : le logement, l’utilité sociale (dont l’emploi reste un axe important, et les activités de service et non délocalisables sont un élément majeur), des revenus décents, et, bien entendu, l’accès à la culture (mais aussi la reconnaissance des cultures populaires de toutes origines), aux sports, à la santé (dans ses dimensions sanitaires, bien sûr, mais aussi de promotion de la santé), à la citoyenneté (comme antidote à l’individualisme exacerbé).

Ces besoins sont universels. Cependant, on doit d’abord s’intéresser aux besoins de ceux qui en ont le plus besoin. En choisissant ce gabarit, on est certains de faciliter la vie de tous. L’inverse n’est pas vrai.

Vous m’interrogez sur les actions culturelles et éducatives qui ont vu leurs moyens s’étioler dans le cadre du CUCS depuis deux ans. On voit ici l’effet pervers d’une politique qui ne voyait dans les jeunes qu’insécurité, et non l’avenir de notre pays. Nous étions sur le chemin de créer des générations sacrifiées, dont l’accès à la culture générale était perçu comme un luxe et non comme une richesse. J’aurais aimé que les seules associations Cucs aient été touchées, mais ce sont les Rased, les associations culturelles, les intermittents du spectacle, l’ouverture au monde qui ont été sacrifiés ces dernières années. Tous est à reconstruire, vous le savez et le travail est énorme. Ici, le Gouvernement, l’Assemblée nationale doivent jouer un rôle moteur, à la mesure du rôle dévastateur qu’ont eu leurs prédécesseurs, pour relancer la dynamique créative nécessaire à la vie ensemble.

Enfin, j’aimerais partager avec vous l’idée que la dimension sociale de la politique des quartiers doit être entendue comme la nécessité de cultiver ce qui fait société. L’emploi, la culture, la santé l’habitat, mais aussi la gestion des déchets, la capacité à circuler agréablement dans la ville, l’école, les activités de loisirs, la vie de voisinage, relèvent tous du « social ». Les habitants des quartiers populaires ont, me semble-t-il, plus que jamais besoin qu’on soutienne ce projet social pour eux et leur quartier que de « travail social », même si celui-ci reste indispensable. Vous le savez, il est souvent plus positif et efficace de s’appuyer sur les ressources, les potentialités, et les transferts de compétences des habitants, que de s’attacher à « corriger » des faiblesses ou des difficultés ciblées.

Ainsi, je pourrais défendre à l’Assemblée nationale l’idée d’un livret de compétences négocié avec les acteurs économiques, qui permette aux personnes non diplômées de capitaliser le bénévolat, les stages et emplois temporaires occupés, en reconnaissant les compétences acquises et transférables.

Vous m’avez questionné sur la place des associations. Outre les propositions que j’ai formulées plus haut, je pense que les associations, ou les collectifs comme celui que vous avez créé, mais aussi les réseaux d’acteurs et les collectifs d’habitants doivent être appelés à participer à l’élaboration du projet politique pour les territoires. Pour leur permettre de participer à ces instances, un système de jetons de présence pourrait être mis en place au niveau national, versés à l’association, et non aux personnes.

Vous l’avez lu, les propositions sont nombreuses, mais toute l’intelligence du personnel politique ne remplace pas la connaissance fine des territoires. Par ailleurs, les divergences d’opinion qui peuvent se faire jour sur ces sujets, loin d’être problématiques, doivent être perçues comme facteurs de richesse face à un sujet aussi complexe que la vie de nos concitoyens.

Pour finir, je pense que les associations de la politique de la ville, et plus largement, les «acteurs territoriaux » devraient pouvoir s’appuyer plus largement –et réciproquement- sur les acteurs du développement durable, car la vie des habitants est bien réglée par les trois piliers qui sont ceux de votre action et de la leur : environnement, économie et partage des richesses produites et projet social. C’est dans cette transversalité et dans ce mouvement constant que peuvent se soutenir les initiatives des associations et des habitants.

J’espère que ces éléments vous auront persuadé de l’intérêt que je porte à ces questions. L’écologie politique poste en elle beaucoup de réponses aux difficultés que nous connaissons, j’en suis convaincu. Je vous remercie de la mobilisation que vous avez su porter pour attirer l’attention sur notre territoire.

 

Rudy L’ORPHELIN

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