Caserne Martin – Intervention de Rudy L’ORPHELIN – Conseil municipal du 16 décembre 2013
Monsieur le Maire, chers collègues,
J’aimerais ici vous dire en quelques mots les raisons pour lesquelles nous nous opposerons aux délibérations relatives au projet de démolition de la caserne Martin.
Ce dossier est emblématique du trop peu de crédit accordé à ce qui est l’un des plus grands défis des prochaines décennies : celui de la réhabilitation du patrimoine bâti et plus particulièrement des logements habitables et ce au regard de trois grands enjeux. Tout d’abord un enjeu social : celui qui doit permettre aux plus modestes d’avoir accès à des logements à loyers très modérés. C’est ensuite un enjeu économique : la nécessité de préparer le secteur du BTP dans le cadre d’opérations exemplaires de réhabilitation. C’est enfin un enjeu environnemental car nous savons que pour réussir le pari de la transition énergétique, il faut concentrer nos efforts sur le bâti existant.
Beaucoup de choses ont été dites sur l’état supposé délabré des logements de la caserne Martin. Nous savons tous ici qu’il n’en est rien. Celles et ceux qui, comme moi, ont eu l’occasion de les visiter en ont eu la confirmation. Sur ce point, le cabinet qui conduit l’étude demandée par les écologistes ne s’y trompe pas en affirmant qu’on trouve sur le site de la caserne Martin, je cite : « des constructions de bonne facture, bien entretenues (…) C’est une figure ouverte qui laisse passer l’air et le soleil entre les bâtiments avec générosité (…) Aussi les logements révèlent-ils de grandes qualités, tant dans leurs distributions que dans les prestations mises en œuvre (…) Tous les logements bénéficient d’au moins deux orientations, des vues dégagées vers la prairie et toutes les pièces sont éclairées naturellement ».
Cette même étude fait apparaître une différence de coût au logement de 6% en faveur de la réhabilitation. Première pierre dans le jardin de ceux qui affirment que réhabiliter coûte forcément plus cher que de démolir et reconstruire. Ajoutons à cela que les subventions potentielles d’un projet de réhabilitation n’ont pas été intégrées : des programmes régionaux aux programmes européens (à l’heure par exemple de la nouvelle programmation FEDER).
D’un autre côté, il faudrait tenir compte des éléments qui sont liés aux coûts induits de la démolition (surcoût de 200 000 euros dans la délibération présentée) mais surtout des coûts externes et notamment en termes de gestion des déchets. En effet, les déchets générés dans le secteur du bâtiment sont plus importants que nos ordures ménagères. 65% d’entre eux proviennent de la démolition. Ces recettes comme ces coûts n’ont pas été chiffrés et nous le regrettons car ils auraient pu constituer des éléments majeurs de décision.
Précisons que l’énergie nécessaire pour construire un logement neuf correspond à 40 années de chauffage de ce même bâtiment. Si on y adjoint les dépenses d’énergie nécessaires à la démolition et à la gestion des déchets, les bâtiments reconstruits – aussi performants soient-ils – auront donc au global un bilan énergétique assez médiocre. Par ailleurs, l’étude le confirme, un scénario réhabilitation pourrait nous permettre de construire jusqu’à 130 logements. On peut donc imaginer réhabiliter et densifier.
Je n’oublie pas que la plupart de celles et ceux qui – architectes et urbanistes – sont venus témoigner dans le cadre des rencontres d’urbanisme organisées à Caen nous le rappellent de façon systématique : en matière de transition énergétique, la mobilisation doit, bien plus que sur le neuf, se tourner vers la réhabilitation des logements existants.
Pour terminer, j’aimerais vous lire ces quelques mots écrits par une vingtaine d’architectes au sujet du patrimoine du XXIème siècle dont Rudy Ricciotti : “Cette « braderie » détruit des logements alors que l’on déplore leur pénurie, prive de travail entreprises et artisans capables de les restaurer ou de les réhabiliter, et nous dépossède d’un patrimoine du XXe siècle, qui est le nôtre” ou encore ces mots extraits d’une tribune de Paul Chemetov intitulée Cessons de démolir les logements habitables qui estime que le défi de la densification urbaine implique de “Construire mais aussi réparer et transformer et cesser de démolir des logements habitables comme un enfant casse ses jouets.”
J’ai entendu à plusieurs reprises qu’il fallait pour ce site situé dans un environnement particulièrement stratégique en cœur de ville et à proximité de la prairie un grand geste, qu’il fallait un projet à la hauteur.
J’ai la conviction que le choix d’une réhabilitation-densification aurait pu constituer un geste tout aussi fort et en tout cas, j’en suis certain, à la hauteur des défis qui sont devant nous.