Arrêtons de peindre en vert nos routes !
par Françis Joly
C’est la rentrée des classes, mais on peut le constater au travers de la presse locale, c’est aussi la rentrée automobile. C’est avec beaucoup d’énergie que le nouveau tronçon de voie autoroutière A88, peinte en verte pour la circonstance, qui relie Falaise à Argentan a été inauguré. En parallèle, l’annonce de la construction d’un nouveau barreau de l’A13 a été presque unanimement saluée. »
Ce dernier chantier de 4 km est annoncé à 25 millions d’euros, soit plus de 6 millions d’ € du kilomètre, certes a priori la facture est entièrement portée par la société des autoroutes de Normandie, mais ce barreau qui devrait alléger la circulation à Cagny et Frénouville reporte en fait le problème un peu plus loin et il est nécessaire d’intervenir sur Bellengreville et Vimont. Ce sont cette fois nos impôts qui paieront ce nouveau tronçon de 4 km et ce pour une ardoise de 17 millions d’euros. Posons-nous la question du pourquoi, de l’utilité de ces nouvelles voieries ? Fluidifier la circulation, désenclaver les territoires, libérer des villages de la circulation automobile envahissante ? Cela fait maintenant 40 ans que ce discours nous est tenu et nous pousse dans un cercle vicieux de toujours plus de route. Ne faisons pas l’autruche, ces projets routiers vont avoir comme conséquence immédiate la continuité du développement péri-urbain, l’installation de toujours plus d’urbains à la campagne. Certains l’ont rêvé, nous sommes en train de le faire, installer la ville à la campagne. Avec des conséquences sur la diminution des surfaces agricoles qui sont la richesse de notre territoire et une dépendance toujours plus grande à la voiture. Il ne s’agit pas de jouer les cassandres ni de tomber dans un catastrophisme déprimant. Les voix sont nombreuses et pas seulement d’utopiques écolos pour dire que la péri-urbanisation est un mode de développement qui mène les collectivités locales dans le mur. L’AUCAME, l’agence d’urbanisme de Caen-la-Mer est la première à le dire et à tirer le signal d’alarme. Pourquoi ces rurbains, néologisme créé pour appeler ces nouveaux arrivants, fuient-ils la ville ? Peut-être sont-ils fascinés par l’image d’Épinal de la famille heureuse dans son pavillon avec son jardinet et son nain de jardin ? Mais plus sûrement, c’est le coût du foncier qui chasse ces habitants de nos villes. Avec 17 millions d’euros (pour seulement 4 km) combien de logements aurions-nous pu construire ? Et je n’évoque pas les 127 millions d’euros de projets routiers inscrits dans le projet de l’agglomération de Caen-la-Mer. Sur la base de 1100 € du m², coût moyen d’un logement social dit haut de gamme en petit collectif, nous pouvons financer la construction de 150 à 200 logements. Nous sommes encore et toujours dans une vision de l’aménagement du territoire et du développement économique du XXème siècle. Il ne s’agit pas d’avoir une vision simpliste ou manichéenne des choses, mais le budget des collectivités et celui de l’Etat ne peuvent pas tout financer. Nous ne pouvons construire et donc payer à la fois des routes et des logements. II faut oser faire des arbitrages, faire des choix. Quelques mois après une énième catastrophe pétrolière qui, promis, sera la der des der, notre addiction au pétrole n’aura jamais été aussi forte.
Et si l’imagination reprenait le pouvoir, plutôt que de continuer sur une voie de garage ?
Et si l’on sortait du discours incantatoire ?
Et si effectivement le logement devenait une priorité ? C’est une urgence écologique et économique.