Contribution au débat LNPN de Rudy L’Orphelin, Président du groupe EELV au Conseil Muncipal de Caen


 » On sait voyager vite et loin mais on a les pires difficultés à aller tous les jours de son domicile à son travail « 

 Nicolas Sarkozy, Avril 2009 Discours de présentation du Grand Paris

 Qu’est-ce que le projet de ligne nouvelle PARIS-NORMANDIE ?

En avril 2009, le Président de la République annonce, dans le cadre de la présentation du projet de Grand-Paris la réalisation d’une ligne LGV entre Paris et le Havre. Suite à de vives réactions de la part des élus bas-normands et d’une partie des élus haut-normands, un comité de pilotage se met en place sous la présidence de Jean-Pierre Duport. De ce comité de pilotage émergera un projet nouveau articulé autour d’une amélioration de la desserte vers Paris des trois principales villes normandes (Caen, Rouen, le Havre) ainsi que de leur rapprochement.

Quel est le projet soumis au débat public ?

Le dossier du Maître d’ouvrage, Réseau Ferré de France, distingue deux grands chantiers à réaliser. Le premier, c’est celui d’une amélioration de la situation francilienne (connexion Mantes-La défense – Saint-Lazarre) qui a pour objectif de séparer le trafic des lignes de banlieues de celui des lignes normandes). 4 projets de tracés sont actuellement retenus. Le second consiste en la réalisation d’une ligne nouvelle vers les trois principales villes normandes. 3 projets de tracés sont actuellement retenus. Notons enfin que tous les scénarios prévoient la création de 4 nouvelles gares (Rouen, Nanterre-La défense, Confluence – Seine-Oise, Louviers-Val de Reuil). L’ensemble de ces réalisations suppose un financement minimum de 11 milliards d’euros.

 

Tout vouloir et rien avoir.

L’histoire des actions entreprises pour moderniser les liaisons ferroviaires entre la Normandie et la capitale nous enseigne surtout les échecs consécutifs des divers projets entrepris. Imaginé dans les années 60, le turbo train sera abandonné. Au début des années 90, un projet de LGV Paris-Normandie est inscrit au SNIT[1] sans qu’il y soit donné de suites. En 1994, émerge l’ambition d’une liaison Normandie Vallée de Seine, idée remise dans les cartons tout aussi rapidement. En 2009, enfin Bussereau est coiffé au poteau par Nicolas Sarkozy, contraint de remettre au placard un plan patiemment discuté avec les différentes parties prenantes. Alors que les conditions de financement du projet de LNPN sont subrepticement ignorées, on peut supposer que ce projet sera, comme les autres, mis au rebut. A la clé, un temps précieux perdu pour agir concrètement sur cette ligne au profit des usagers du quotidien.

 

Derrière le temps de parcours, les vraies difficultés

1h15 sinon rien. C’est un peu de cette manière qu’on pourrait caractériser l’approche du projet de LNPN. Si l’argument de la vitesse séduit, est-ce là la seule préoccupation des usagers ? Rien n’est moins sûr. Confort, régularité, augmentation du cadencement, coût sont au moins tout aussi cruciaux aux yeux des usagers et notamment de ceux qui l’empruntent régulièrement. Retards qui s’accumulent, trains surchargés, arrêts sur la voie réguliers. Voilà sans doute ce qui exaspère le plus celles et ceux qui ont à emprunter cette ligne. Une rapide comparaison des temps de trajet actuels entre train et voiture individuelle nous enseigneront qu’en tout point le train est d’ores et déjà plus compétitif. Un autre exercice nous permettra de constater que Caen, Rouen et le Havre sont dans le top 10 des principales agglomérations françaises en termes de temps de trajet vers Paris. Dès lors, n’est-il pas plus urgent de se concentrer sur les véritables sujets et définir un programme cohérent et réaliste en adéquation avec les attentes des usagers ?

 

Les coûts du projet

Inscrit dans le nouveau projet de SNIT, le projet de LGV Paris-Normandie (estimé entre 7 et 9 milliards d’euros) est classé en 16ème position sur les 18 projets qui, dans le cadre des objectifs du grenelle de l’environnement, devraient voir le jour avant 2020. Mis bout à bout les 18 projets représentent la bagatelle de 80 milliards d’euros. Le dossier du Maitre d’ouvrage, RFF, annonce un coût pour la LNPN qui oscille selon les scénarios entre 11 et 15 milliards d’euros, coût qui devra être nécessairement réévalué à la hausse à l’aune d’une mise en service à l’horizon 2020/2023. A ce stade et en dehors du Président de la Région Haute-Normandie qui a annoncé souhaiter mobiliser 20 millions d’euros par an durant les 10 prochaines années, aucune autre collectivité ni même l’Etat ou le Maître d’ouvrage n’ont pris d’engagements financiers. Cette question, éternellement reportée, porte en germe l’échec annoncé de ce projet.

Du modèle de financement…

Alors que la dette de Réseau Ferré de France ne cesse d’augmenter, la question des modalités de financement d’un tel projet va nécessairement se poser. De 23 milliards en 1995, elle atteint aujourd’hui les 30 milliards. Le financement du rail est d’ores et déjà en pleine asphyxie. Selon Marc Fressoz[2], spécialiste des transports, la dette pourrait atteindre 42 milliards si l’ensemble des programme LGV prévu dans le cadre du Grenelle de l’environnement d’ici à 2020 était réalisé. De la pure folie. Qu’en est-il donc des possibilités de financement du projet de LNPN ? On peut ici redouter un modèle de type Partenariat Public-Privé qui mobilisera lourdement les collectivités, RFF et les privés qui de leur côté bénéficieront de confortables loyers induisant de fait une privatisation du réseau et une aggravation de la dette de RFF.

… A l’impact sur le coût du trajet

Il est sans doute utile de préciser que Caen, Rouen et le Havre bénéficient actuellement des de tarifs parmi les moins onéreux des principales agglomérations françaises pour se rendre en train à Paris. Plus généralement, les villes normandes sont encore soumises à un tarif réglementé basé sur le nombre de kilomètres parcourus. Les investissements liés à la LNPN levés par le biais d’un PPP supposeront, c’est une certitude, une augmentation significative du coût du billet, la mise en place de réservations obligatoires et peut-être l’obligation de payer certains services à bord[3]

 

Aménager ou déménager le territoire ?

Oui bien sûr, dans leur grande majorité les élus et acteurs économiques veulent la grande vitesse « comme un enfant veut son train électrique »[4] Marqueur de modernité, facteur d’attractivité économique, bon pour l’emploi voici les arguments les plus souvent associés au « modèle TGV »[5] A bien y regarder, en concentrant depuis 30 ans l’essentiel des investissements ferroviaires, il aura aussi été un instrument de désertification de certains territoires par l’affaiblissement voire la suppression de dessertes de proximité[6]. Les effets positifs de la grande vitesse restent donc encore largement à démontrer et il est tout à fait stupéfiant d’entendre encore aujourd’hui nombre de responsables politiques ou acteurs économiques présenter cet état de fait comme une évidence qu’il ne serait pas utile d’étayer. Comme nous le soufflait Pierre Radanne à l’occasion de l’une de nos rencontres, l’an dernier, « L’élu qui n’a pas de véritable projet de développement économique pour son territoire fait des autoroutes et des grandes infrastructures, cela lui évite d’avoir à se justifier »

Et pour le reste ?

Oui, il faut moderniser les relations ferroviaires entre Paris et la Normandie, nous le disons depuis longtemps. Mais il nous faut imaginer un projet réaliste sans doute limité dans un premier temps à l’amélioration des liaisons entre Mantes et Nanterre qui permettront d’améliorer de manière significative la situation des usagers en séparant le trafic de Banlieue du trafic des lignes normandes. C’est une solution à l’avantage des trois régions concernées qui permettra d’améliorer de manière significative le quotidien de dizaines de milliers d’usagers. Cette seule solution sera déjà très coûteuse et nécessitera, quoiqu’il en soit de questionner plus largement le modèle de financement du ferroviaire dans ce pays.

Le pire serait de tout miser sur un gain de 15 à 30 minutes entre Caen et Paris pour le développement de l’offre ferroviaire de demain. Que fait-on de Paris-Granville, de Caen-Tours ? Les collectivités locales devront-elles prendre en charge la totalité de la modernisation du reste de l’offre ferroviaire ? Sommes-nous capables de penser un développement du ferroviaire reposant sur une plus grande proximité ? La réouverture de Caen-Flers sera –t- elles possible ? L’amélioration des liaisons Caen-Rouen-Le Havre sont-elles envisageables sans sacrifier tous les investissements dans le projet de ligne nouvelle ?

Etre mobile demain obligera à des arbitrages de plus en plus douloureux pour les ménages qui subiront une lourde augmentation des coûts des carburants avec un baril de pétrole qui oscillera entre 140 et 180 dollars à l’horizon 2015 ; ils se trouveront nombreux sans alternative à la voiture particulière. Cela implique des bouleversements importants qu’il nous faut préparer.

Ces questions se posent avec une acuité jamais égalée dans l’histoire récente. Il est temps de prendre les bonnes décisions, utiles à tous.


[1] Schéma National des infrastructures de Transports

[2] Auteur de F.G.V, faillite à grande vitesse (cherche midi), 2011

[3] Embarquer un vélo à bord d’un Teoz ne vous coûtera pas moins de 10 euros pour ne prendre que cet exemple

[4] Marc Fressoz, interview dans le Républicain lorrain, septembre 2011

[5] Je parle volontairement ici de « modèle TGV » conscient que le projet de LNPN ne rentre pas dans cette catégorie. A bien des égards cependant, il repose sur des principes tout à fait similaires.

[6] Voir à ce sujet « les perdants du TGV » étude de la Fédération Nationale des Association d’usagers du Transport (FNAUT), avril 2009

3 commentaires pour “Contribution au débat LNPN de Rudy L’Orphelin, Président du groupe EELV au Conseil Muncipal de Caen”

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